Cette année 2021 est celle de tous les défis. Nos relations sociales ont été mises à rude épreuve. Se retrouver, se réunir, aller travailler passera par un retour à la mobilité… plus accessible ? Plus inclusive ? Laetitia Monrond, Directrice de l’Accessibilité du Groupe SNCF et Amandine Richaud-Crambes, Directrice Générale de la Fabrique des Mobilités nous invitent tous à relever ce challenge. C’est avec un engagement communicatif qu’elles se sont livrées à notre interview Tac-O-Tac.
Amandine : Cap ! Je fais le même trajet quasi rectiligne à l’aller comme au retour. Encore plus facile si mon chien est avec moi !
Laetitia : Pas tout à fait cap…d’arriver indemne jusqu’au RER, à cause de la volée d’escaliers sur mon chemin. Mais une fois à bord aucun soucis pour me rendre à Saint-Denis les yeux fermés !
Cap toutes les deux ! Mais pas pour les mêmes raisons…
Amandine : j’ai grandi sans téléphone et j’ai très vite appris à me servir d’une carte et de fiches horaires. Et j’ai une vraie vie de nomade, toujours en mouvement. Pas sûre que les jeunes développent les mêmes sens des repères ! Mais j’ai mes propres fragilités : au fil du temps je réalise que j’ai de plus en plus de mal à me sentir en sécurité dans les déplacements, le soir particulièrement – exacerbé par ces confinements et couvre-feu.
Laetitia : je n’ai aucun sens de l’orientation, je n’ai jamais su lire correctement une carte… et j’ai deux paires de lunettes dont celle pour voir de loin qui reste toujours dans la voiture, ce qui n’aide pas pour lire les noms de rue quand je suis à pied ! Donc privée du guidage de mon téléphone je peux être en difficulté mais cela est vite résolu par le fait que je n’ai aucun problème à aborder un passant pour demander mon chemin ! Et en dernier ressort je peux toujours appeler mon compagnon qui est un GPS vivant et me fera un audio guidage jusqu’à destination !
Laetitia : une histoire de quai trop court (ou de train trop long !) pour rejoindre les Pyrénées de nuit. Avec une amie, chargées de nos skis et snowboard, nous avons dû escalader la première marche du train depuis le ballast et, une fois à l’intérieur, nous sommes rendues compte que tout notre matériel ne rentrait pas dans la cabine !
Amandine : récemment on m’a refusé l’accès au bus avec mon chiot, j’en étais perplexe ! Et je suis scandalisée qu’en 2021 la ville en général et les transports soient si inaccessibles. On s’en rend très bien compte quand on a des béquilles – ça m’est arrivé – ou même quand on est chargé.
Laetitia : Tout le monde y travaille. Mais je ne crois pas que d’ici 2024 nous serons capable d’offrir une « full autonomy » – il faudra compter sur l’accompagnement humain, former tous les volontaires pour aider les voyageurs et soutenir les start-ups pour proposer de nouvelles solutions.
Au sein du groupe SNCF nous travaillons depuis longtemps à rendre les transports plus accessibles. Toujours en concertation avec 9 associations nationales pour tenir compte de leurs avis. Le grand défi, c’est la mise en accessibilité des gares. Aujourd’hui, 70% des bâtiments voyageurs et 40% des quais sont accessibles. Nous mettons tout en œuvre pour tenir nos engagements pour 2024. Et à défaut d’un accès en toute autonomie, nous offrons déjà un certain nombre de services d’assistance, avec ou sans système de réservation (Accès Plus (260 000 réservations en 2020 ; une satisfaction > 90%), Accès TER, Accès Plus Transilien, l’application Andilien).
Il y a 12 millions de personnes handicapées en France, bientôt 20 millions de plus de 60 ans et la moitié de la population avec une mobilité réduite à horizon 2025… Il y a urgence à permettre la mobilité pour tous. Mais c’est un futur possible, j’ai le sentiment que les mentalités changent. Il y a eu beaucoup d’améliorations ces 10 dernières années. J’ai confiance quand je vois le nombre de jeunes et d’entrepreneurs engagés pour faire bouger ce qui parait immuable.
Amandine : L’accessibilité ne se résume pas au handicap. Les jeux eux-mêmes sont discriminants par essence, donc les JO 2024 accessibles, je n’y crois pas. Par contre, je crois dans le pouvoir des approches inclusives dans tous les projets ! En s’interrogeant sur l’accès à la mobilité de tous et de chacun.e, handicapés et fragiles, territoires urbains et ruraux, on peut lutter contre la voiture individuelle, on peut amener plus de gens vers l’emploi, on peut désenclaver les territoires et diminuer significativement les émissions de Co2. L’accessibilité de la mobilité et de la ville, c’est donc LE levier du futur !
A la fabrique des mobilités c’est l’objet même de notre association. Notre ADN. Nous fédérons des acteurs et nous soutenons des projets légers, agiles, sobres et accessibles à tous. Nous produisons des « biens communs ». Tous nos travaux sont en open source et réplicables.
Laetitia : Nous ne sommes pas au bout mais je salue tous les travaux déjà effectués dans les gares. Ce sont d’énormes chantiers. Et en termes de services, je citerais la possibilité sur l’Assistant SNCF d’obtenir la retranscription écrite des annonces à bord. Un service conçu à l’origine pour les personnes sourdes et malentendantes, qui a été largement repris par les voyageurs qui aiment utiliser leur casque ou leurs écouteurs sans risquer de rater une information !
Amandine : A l’automne 2020 nous avons organisé un hackathon 100% re.confiné et l’un des projets lauréats portaient sur le calcul d’itinéraire à vélo pour les personnes en situation de handicap. Un super projet !
D’une manière plus générale je suis fière de notre approche inclusive dans tous nos projets. On tient notamment particulièrement compte de l’analphabétisme dans les projets numériques et du fait que tout le monde n’a pas de smartphone. Par exemple comment développer des images ou de la voix, mais aussi comment réserver des services en free-floating par simple sms.
Laetitia : Les projets sont longs, on peut avoir l’impression qu’on n’en verra jamais le bout, mais c’est une vraie aventure humaine. C’est beaucoup d’échanges, d’écoute, de partage. Il y a un attachement très fort qui se crée avec les gens que nous rencontrons. Et d’émotions : lors d’une animation interne avec remise de prix pour une association, tout le monde pleurait sur scène, cela a marqué les esprits ! C’est très gratifiant quand on avance, que les associations et les voyageurs en bénéficient et nous le disent. Je me rends compte aussi de la nécessité de communiquer encore et toujours plus pour faire savoir ce qui existe déjà.
2025 c’est demain. La crise actuelle a confirmé la nécessité pour tous de pouvoir se déplacer pleinement notamment pour accéder aux soins et à l’emploi. Nous avons la responsabilité collective de faciliter la mobilité de tous.
Amandine : J’ai eu le déclic en écoutant il y a des années une spécialiste de l’accessibilité. C’était comme une révélation : « C’est tellement évident qu’on doit faire ça ».
C’est quand on rencontre les gens qu’on mesure que l’accessibilité n’est pas une contrainte mais un levier. On sort alors de notre carcan d’expert et on peut s’atteler à construire un cadre de vie plus agréable avec plus d’espace, moins d’oppressions et une capacité à refaire du lien et de la solidarité.
Adopter une approche inclusive, c’est une nécessité pour atteindre ce futur souhaitable.